La vie… Une hésitation…
La vie… une hésitation perpétuelle…
Ce texte d’Erik Orsenna épouse tellement mes idées que je le partage avec grand plaisir pour une réflexion qui peut aller bien plus loin que ces quelques lignes…
“Quand je regarde mes dix doigts, je me désespère : ils ne savent rien faire.
Quand je regarde des céramiques, des hautbois, des éventails, des meubles de pailles, je m’émerveille.
Comment, par quel cheminement de l’habileté, par quel alliage de la tradition et de la création, des êtres humains ont-ils pu mettre au monde ces chefs-d’oeuvre ?
Alors, je me faufile dans les ateliers. Et je ne perds pas une miette de spectacle.
Je vois de la patience, je vois du respect, je vois, surtout peut-être, de l’intimité avec les matières.
Comme si ces gens-là, artistes et artisans d’art, avaient le pouvoir d’ouvrir des portes sur des univers jugés fermés, le pouvoir d’animer l’inanimé et de faire parler le silence des choses. Je vois des tours de main qui sont autant de tours de magie, mais je songe aussi à ces tours de France que font certains compagnons pour apprendre, en rencontrant des maîtres.
L’art n’est pas un métier et pourtant il y a des métiers d’art.
Alors, je m’effraie quand j’entends que certains savoirs se perdent, que certaines transmissions s’arrêtent, faute de jeunes pour continuer et surtout faute de commandes car fautes d’yeux ou d’oreilles pour apprécier. Il me semble alors que le monde rétrécit et s’assèche comme peau de chagrin.
Alors, je reviens vers mes doigts qui ne savent rien faire que se crisper sur un crayon.
Et je leur donne l’ordre à ces doigts inutiles, l’ordre d’écrire que le livre qui va suivre n’est pas seulement un hommage à des “trésors vivants”, comme on dit au Japon ; pas seulement un catalogue des limites du possible ; pas seulement un voyage d’enchantement en enchantement. C’est un cri d’alarme. Dans vingt ans, dans cent ans que restera-t-il de cette excellence qui a quelque chose à voir avec le meilleur de notre pays ?”